Chorus (Les cahiers de la chanson) "Les signes extérieurs de Gainsbourg"
Les signes extérieurs de Gainsbourg
"Le dandysme est un club de suicidés et la vie de chacun de ses membres n'est que l'exercice d'un suicide permanent" (Jean-Paul Sartre)
Qu'ils soient "de richesse" ou de n'importe quelle autre forme de réussite (sans négliger le fait qu'il est des fiascos aussi réussis que les plus beaux succès), les "signes extérieurs" sont toujours ostentatoires. C'est à dire forcés, donc truqués, et gonflés d'une immodestie qui finit par être lassante, dérisoire... et vaguement embarrassante pour qui la contemple de l'extérieur, tel un témoin pris en otage et contraint au voyeurisme. Toutes ces choses qui sont la négation exacte du véritable dandysme et ne forment tout au plus que la panoplie clinquante du poseur. Or, paradoxalement, Gainsbourg - qui s'est toujours attaché à soigner son image de dandy déjanté, cynique, distant et désabusé, en un mot "aquaboniste" - se sera beaucoup complu dans l'étalage de ces "signes extérieurs", avec une obstination tour à tour enfantine et tragique, vaniteuse et morbide.A tel point que, chez lui, la notion de "signes extérieurs" - qui se conjugue déjà ordinairement au pluriel - mériterait une sorte de "plus que pluriel", pour en inventorier toutes les formes.Signes extérieurs de richesse, bien sûr, pour cet auteur comblé, dont l'oeuvre comprend - outre les trois cent et quelques chansons écrites pour lui-même et pour une myriade d'interprètes allant des plus célèbres (Bardot, Birkin, Gréco, Jeanmaire, Sauvage, Adjani, Deneuve, Gall, Paradis, Dutronc, Bashung, Chamfort, et bien d'autres...) aux plus insignifiants (Dominique Walter, Shake etc...) - des dizaines de musiques de films, quatre longs métrages, une quarantaine de clips, de courts métrages ou de spots publicitaires, et une dizaine de livres sous forme de recueils de textes ou d'aphorismes, d'albums photographiques, d'un roma, et même de deux bandes dessinées.Encore est-ce sur ce point - l'argent - que Gainsbourg restera le plus discret, malgré le scandale déclanché par l'affaire du billet de cinq-cent-francs brûlé en direct à la télévision.Une bien grande affaire pour ce qui n'était, en fait, qu'une toute petite vaguelette au fond d'un minuscule verre d'eau.En revanche c'est avec une toute autre affectation que l'auteur de "Love on the beat" nous livrera le détail de ses bonnes fortunes auprès des dames - la revanche du talent et du succès sur la laideur et la timidité - ou qu'il se complaira à étaler, au vu et au su de tous, les signes extérieurs d'un désespoir à l'évidence réel, mais finalement beaucoup trop mis en scène pour continuer à être vraiment boulversant . Clope, Pastis, oeil rouge et larmes faciles: autant de masques de tragi-comédie derrière lesquels il nous faut aujourd'hui chercher ce qui a pu subsister d'authenticité chez un artiste que la surabondance de dons a souvent conduit au manque d'exigence, et chez un homme d'une extrème sensibilité qui, à force de vouloir nous attendrir à tout prix, a fini par croire à son propre rôle et s'apitoyer sur lui-même.