1976.07 Ecran Nr. 48 S. 45-55 "Monstre sacré ou Sacré monstre?"

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Monstre sacré ou Sacré monstre?

Plus que tout autre acteur vivant aujourd'hui, Klaus Kinski s'inscrit - s'est inscrit dès avant sa naissance sans doute - dans l'inextricabilité légende-homme-masque-homme-monstre sacré. Tous les mots employés depuis Kean pour caractériser cette espèce d'hommes qui tirent leur substance, qui ne peuvent vivre que par et dans le mensonge et le masque, Kinski les contient. On ne peut dire de lui: Kinski EST, ou Kinski N'EST PAS... On se trompe toujours, comme il se trompe lui-même.

L'autobiographie qu'il a écrite n'est pas faite pour démêler le vrai du faux. Un homme qui entame son histoire en se prenant pour Jésus-Christ, poursuit en racontant une enfance de famine et de larcins, cet homme se prépare à se faire aimer. Quand cet homme poursuit en détaillant sur deux cents pages ses appetits sexuels, viols, femmes de cinq minutes, partenaires sur un film dont le nom est à peine caché, éxpériences de sodomisation, prostitution, etc. que cherche-t-il à faire? A se faire pardonner?

"Tu as une bouche de pute", lui dit-on. Le théâtre de Kinski est dans son lit. Et sur l'écran? Sur l'écran je vois Dracula, un colonel américain, un tortionnaire nazi, un Sade, deux Sade, trois Edgar Allan Poe, ce violeur, ce Méphisto, ce méchant, brute, truand, pervers des films de troisième catégorie, est-ce lui? Il est tordu, bossu, les yeux torves, le déguisement outrancier, la cape, les cheveux trop longs, ou trop raides, la barbe maligne, l'air arrogant, dévié, les gestes exagérés, trop apprêtés. Sa personnalité éclate dans les flashes superbes réveillant des films endormis. On ne le voit jamais sourire, ou c'est un sourire satanique.

Quand je le rencontre, c'est un ange aux yeux de faïence, un gentleman à chemise bleue amidonnée, au torse brun délicatement dégagé, au sourire naïf. Bien élevé, attentionné, on pourrait presque dire discret... Il joue le démon et fait l'ange? Ce serait trop facile de s'en tenir là. Jeu? Le jeu lui donne tous les atouts. Mégalomanie? La mégalomanie lui permet toutes les outrances, même celle de la discrétion.

En fait, Kinski se met en scène et nous met en scène à la fois. Car là est le ressort de Klaus Kinski. Il a refusé Visconti, Pasolini, Fellini, Cavani parce qu'il ne peut y avoir de Kinski que décidé par lui, bougé par lui, mis en place par lui. C'est seulement au moule de son propre génie qu'il pouvait se former. C'est la raison de tant de westerns spaghettis, d'aventures espagnoles, de pornos, de "fantastiques" à bon marché. Pour être fidèle à lui-même (si tant est que ce "lui-même" existe) et faire coller vérité et mensonge, Kinski, dans chaque film où il s'est "mis en scène" aurait dû apparaître nu, debout, immobile deux heures devant une glace en pied.

Le personnage de Zimmer de L'important c'est d'aimer est-il Kinski? Zulawski s'est-il inspiré de lui pour écrire le rôle? Ou Kinski avait-il un personnage en pointillé qu'il a rempli de son apparence de monstre? Les deux sont probablement vrais.

Pour s'en sortir, Kinski a commencé de jouer pour vivre à onze ans. Pour manger, il a fait le voleur, le pédé, l'escroc, l'aliéné, le travelo. Alors tout cela est-il naturel ou est-ce un jeu? Kinski pourra avec son génie personnel jouer une femme, un ange, un dictateur, un marin, une danseuse, un Christ. A 41 ans, il peut jouer une vierge, un enfant ou un jeune homme. Alors. Il n'y a pas de vérité ou de mensonge Kinski. C'est pourquoi tout ce qui est dit dans l'interview est faux. Ou vrai.



Auteur: Claire Clouzot