Quelltext der Seite 2000.02.14 L'Humanité "Le hurleur de blues ou Le cri du cour"

L'irrévérencieux chanteur de blues, Screamin’ Jay Hawkins, auteur du célèbre "I put a spell on you", est parti au pays du silence.

C'est l'ultime coup du bluesman loufoque. Screamin' ("celui qui crie") Jay Hawkins, dont les éruptions vocales ont agacé autant de gens qu'elles en ont enthousiasmés, s'est définitivement tu samedi 12 février. Agé de soixante-dix ans, le chanteur et pianiste américain est décédé des suites d'une occlusion intestinale, dans un hôpital de la banlieue parisienne. On pourrait presque croire à un dernier pied de nez de la part de l'auteur de "Constipation blues", tube qui fit un bruit retentissant autant par ses borborygmes et autres sons suggestifs que par la levée de boucliers moralistes qu'il suscita. "On retiendra peut-être davantage les facéties de Screamin' Jay Hawkins que son talent pourtant bel et bien réel", remarque l'harmoniciste Jean-Jacques Milteau, catalyseur du blues made in France. Comme pas mal d'autres musiciens américains, il s'était installé en France. Screamin' était un des rares artistes de blues à l'ancienne à avoir réussi à ouvrir la porte du show-business. Selon les mauvaises langues, la gloire de Screamin' serait essentiellement due à ses clowneries. Écoutez-le sur disque pour juger sur pièce. Vous y percevrez la grande tradition des "shouters", ces "hurleurs" de blues apparus dans les années trente.

Les shouters se situent dans la lignée des "preachers" des églises noires, et aussi de ces vocalistes qui, habitués à se produire sans micro, en compagnie de big bands, émettent un chant puissant pour bien se faire entendre. Parmi les représentants de ce style, figurent le légendaire Big Joe Turner, Eddie Vinson et Wynonie Harris. Ces deux derniers ont joué un rôle important dans la formation de Jay, leur cadet respectivement de douze et quatorze ans. "Jay a été le protégé de Wynonie Harris, le roi des blues shouters (...). Ils ont joué ensemble plusieurs années, et Jay n’a jamais oublié ses origines", lit-on dans le livret du CD <i>SWING FEELING AND SCREAMIN' JAY HAWKINS</i>.

Né en juillet 1929, notre jeune Hawkins hurlant, qui effectua une tournée avec le chanteur Wynonie Harris au début des années cinquante, fut peut-être inspiré par les extravagances de cet étonnant showman. Après avoir gagné des lauriers comme boxeur à la fin des années quarante, Screamin' choisit finalement la satire, l'excentricité et un blues musclé, pour envoyer au tapis l'Amérique paternaliste et puritaine. En 1956, il enregistre lors d'une session copieusement arrosée, "I put a spell on you" ("je te jette un sort"), hit planétaire que reprendront de nombreuses stars (une des plus belles versions étant celle de Nina Simone). Que les bien-pensants, choqués par les éructations du chanteur, aillent au diable! L’inventeur du blues gothique s'amusera sans cesse à semer des frissons, qu'il surgisse d’un cercueil en plein milieu de la scène, brandisse un sceptre surmonté d'une tête de mort et baptisé "Henry", ou bien roule des yeux à la manière d’un Dracula maître chanteur. "Je suis venu au monde, noir, nu et laid, disait-il en riant. Je m’en irai, noir, nu et laid." Et déjà, sa gueulante nous manque. Son émotion aussi, planquée derrière sa verve carnavalesque.

CD: <i>AT LAST</i> (Last Call Rec. / Arcade) ; <i>FEAST OF THE MAU MAU</i> (Demon / Media7) ; <i>SWING FEELING AND SCREAMIN' JAY HAWKINS</i> (Frémeaux et Ass. / Night and Day).


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Auteur: Fara C
* [http://humanite.fr/journal/2000-02-14/2000-02-14-220081 original source]

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