1998.04 Regards "Screamin' Jay Hawkins, sorcier du blues"
<a href=http://www.regards.fr/archives/98/9804/9804suj01.html target=_top>unknow n</a> Hors-sujet (avril 1998)
Guillaume Chérel: Screamin' Jay Hawkins, sorcier du
blues
Dans son film Stranger Than Paradise, Jim Jarmush a redonné un coup de je
une à sa célèbre chanson, écrite en 1956, "I Put A Spell On You" (Je te jette un
sort). C'est sa marque de fabrique. Elle a fait le tour du monde. Reprise par N
ina Simone, The Animals, Creedence Clearwater Revival, et les Who, entre autres.
Screamin' Jay Hawkins passe pour un déjanté, mais c'est avant tout un sacré cha
nteur. Un sorcier du blues. Né en 1929, à Cleveland (Ohio), sous le patronyme de
Jalacy J. Hawkins, il est abandonné par sa mère à dix-huit mois, puis adopté pa
r une famille d'Indiens " blackfoot ". A trois ans, il touche son premier piano.
En 1945, il s'engage dans l'armée: il a seize ans. Après treize missions de com
bat dans le Pacifique, sérieusement blessé, il doit être rapatrié. Entre-temps, Jay a appris le saxo ténor et... la boxe.
"J'ai fait de la boxe pendant quatorze ans. En 1944-45, l'armée cherchait des bo xeurs. Je me suis battu durant toute mon incorporation. J'étais bon mais pas ass ez sérieux. J'aurais pu être pro si je n'avais pas picolé et fait la fête. J'ai pris un peu d'argent, je traînais dans les night-clubs. J'étais invaincu, jusqu' à ce que je rencontre Billy McCann, champion d'Alaska, en finale poids moyen de la plus grande épreuve amateur: "The Cleveland amateur golden gloves diamond con test". C'était en 1949. Il m'a battu aux points, en quinze rounds, mais c'était une décision injuste. J'ai dit OK, puisque c'est comme ça j'arrête. Pour réussir
en boxe, il faut avoir l'instinct du tueur". "Un jour, au début des années cinq
uante, dans le cadre du Théâtre des Armées, je me produisais dans un bled nommé Nitro... en Virginie. Il y avait une grosse femme. Imposante. Enorme. Genre glou tonne, bestiale, obèse, grotesque... Tellement grosse qu'un éléphant, à ses côté s, passerait pour une mine de crayon... Moi, je ne savais pas encore bien chante r, alors je criais tant que je pouvais. Elle picolait sec et m'encourageait en g ueulant: "Scream baby! Scream, Jay! " (crie bébé, crie, Jay... ). Je me suis dit
- tu cherchais un nom de scène... le voici!. Screamin' Jay Hawkins était né. On
croit que je raconte des histoires, mais tout est vrai. Je suis venu au monde no ir, nu et laid! J'en ai bavé et je suis encore là."
Aujourd'hui, ce bourlingueur au grand coeur vit dans la pénombre d'une résidence
cossue de Levallois-Perret, entouré de peaux de serpent... et de têtes de mort. Sur scène, il continue de péter, hurler, grogner... éructer ! Ses borborygmes s
urprennent les jeunes spectateurs, au premier abord, puis ils éclatent de rire. Ensuite, ils écoutent sa musique. C'est bien là son drame. On le prend pour un b ouffon. Il faut dire que la spécialité de l'énergumène est de sortir d'un cercue il, déguisé en Dracula (noir), armé de son bâton magique... surmonté d'un crâne aux yeux clignotants, prénommé Henry. Screamin' Jay va sur soixante-dix piges, m ais il avoue quinze ans d'âge mental. Ce troubadour du blues s'est également dis tingué pour avoir écrit Constipation Blues, chanson hilarante narrant les souffr ances d'un constipé sur la lunette des chiottes...
"J'étais constipé depuis quatre jours. J'avais le ventre gonflé comme un chien c revé. Je hurlais de douleur. C'est devenu une chanson qui m'a rapporté beaucoup d'argent. A part ça, je ne suis pas particulièrement porté sur la scatologie. J' ai créé mon propre style, fondé sur l'humour, mais, à la base, je suis un bluesm an. Plaisanter m'aide à vivre. J'aime faire rire les gens, les rendre heureux un
instant. J'aime délirer. J'ai une grande gueule. Je parle trop. Ma mère me disa
it toujours: ferme-là un peu, ou ça va t'attirer des ennuis."
"Je suis né différent. Noir adopté par des Indiens! ... C'est pas banal. Vous co nnaissez des gens normaux, vous? Tout le monde est fou. On prend un gamin, on lu i met un fusil dans les mains et on lui dit de tirer sur d'autres gars en face. Ce n'est pas de la folie, ça?! La moitié de la planète se fait la guerre. Nous v ivons dans une jungle. Les gens sont dangereux. J'aime passer pour un original, c'est plus drôle. C'est une manière d'être. Quand j'étais môme, j'étais un ange.
Puis la rue m'a déniaisé. Les Blancs m'ont durci. Ma mère indienne m'a appris à relativiser les choses et à m'adapter. J'en sais assez pour ne pas prendre la v
ie trop au sérieux. J'aime passer pour un fou. C'est plus drôle. Je suis un prov ocateur. Un jour, alors que je devais me produire à l'Appollo Theatre de New Yor k, en 1956, des centaines de personnes protestaient pour que les jeunes ne vienn ent pas me voir. Ils trouvaient mes chansons immorales ! En plein Harlem, des pa rents disaient à leur enfants de ne pas aller écouter Screamin' Jay Hawkins... A lors, j'ai pris 15'000 dollars à ma banque et j'ai distribué des billets aux gen s qui manifestaient. Je leur ai dit: plus vous empêcherez vos enfants de venir m e voir, plus ils voudront m'écouter, merci. Je vous paye un dollar chacun pour l es troubles que vous occasionnez. Merci pour la publicité. Ils m'ont pris pour u n fou..."
"Pourquoi je vis en France ? Parce que je n'aime pas l'Amérique. Ils sont trop b igots. En général, c'est un peuple puritain et raciste. Regardez l'affaire Clint on ! Et quand on a la peau noire, aux Etats-Unis, la vie se complique. En France , je fais ce que je veux. Traditonnellement, beaucoup d'artistes noirs sont venu s en France pour échapper aux Etats-Unis. Menphis Slim, Joséphine Baker, les box eurs Jack Johnson et Al Brown, Miles Davis, etc. Je suis venu la première fois à
Paris en 1951, puis en 65, en 75... En 1986, 87, 89... plus je venais, plus j'a
imais la France. J'ai décidé de vivre ici."
"Ma mère adoptive m'a appris à vivre avec la nature, la magie, les esprits. Mais
ce qui est important, c'est qui je suis. Où je suis. Où je vais... Si vous ne s
avez pas qui vous êtes, vous ne pouvez pas progresser dans un monde dominé par l es Blancs. (...) Je n'ai aucun maître. Même pas James Brown! J'ai joué avec Lion el Hampton. J'ai rencontré Nate King Cole. Errol Gardner m'a donné des leçons. M ais moi, je voulais toujours jouer à ma manière. De nombreux inconnus m'ont infl uencé... Les femmes m'ont influencé. C'est elles qui m'ont rendu fou... Qu'est-c e qu'il y a de plus beau, dans ce monde, que les femmes et l'amour?! (...) Contr airement à ce qu'on croit, à cause de mon côté vaudou, la sorcellerie tout ça...
je n'aime pas la musique de la Nouvelle Orléans. L'occultisme ne me branche pas non plus. Je fais mon numéro pour le spectacle; ça fait vendre mes disques, c'e
st tout. Je chante beaucoup de ballades, sur la plupart de mes disques, mais dès
que les gens entendent mon nom, ils veulent de la folie. Alors je gueule I Put
A Spell On You."