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<b>De quel film s'agissait-il pour Visconti?</b>
 
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De <i>[[1955 Film "Ludiwg II. (Glanz und Elend eines Königs)|Louis II]]</i> de Bavière. Enfin..., j'aurais joué l'acteur ami car je suis trop vieux à 41 ans pour faire le roi. Remarquez, j'avais joué Louis II lui-même en 1955 dans le film de Helmut Käutner mais ce n'était pas très bon. La vision de Visconti sur Ludwig, sur le nazisme et la perversion sexuelle, ça pourrait être intéressant mais pas comme il le réalise. Et puis, faire jouer cela par des pédés, enfin... bref.
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De <i>Louis II</i> de Bavière. Enfin..., j'aurais joué l'acteur ami car je suis trop vieux à 41 ans pour faire le roi. Remarquez, j'avais joué Louis II lui-même en 1955 dans le film de Helmut Käutner mais ce n'était pas très bon. La vision de Visconti sur Ludwig, sur le nazisme et la perversion sexuelle, ça pourrait être intéressant mais pas comme il le réalise. Et puis, faire jouer cela par des pédés, enfin... bref.
  
 
<b>Qu'est-ce qui s'est passé avec Pasolini et <i>Porcherie</i> [<i> Porcile</i>]? Est-ce parce que Pasolini était trop angoissé? Pourtant le rôle était écrit pour vous...</b>
 
<b>Qu'est-ce qui s'est passé avec Pasolini et <i>Porcherie</i> [<i> Porcile</i>]? Est-ce parce que Pasolini était trop angoissé? Pourtant le rôle était écrit pour vous...</b>
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<b>Est-ce que vous sentiez plus d'amour avec Yves Boisset, Sergio Corbucci, Giuliano Montaldo...</b>
 
<b>Est-ce que vous sentiez plus d'amour avec Yves Boisset, Sergio Corbucci, Giuliano Montaldo...</b>
  
J'aime beaucoup Yves Boisset avec qui je m'entends très bien, ainsi que Montaldo qui est un metteur en scène génial. Mais pour moi, un metteur en scène agréable c'est David Lean avec qui ja'i fait <i>[[1965 Film "Dr. Zhivago"|Docteur Jivago]]</i>. Avec Lean il existe un dialogue, une communication. Et au sein d'une machine torturante comme la production du <i>Jivago</i>, ça c'est vraiment créatif. C'est comme avec Sergio Leone. Leone est un ami. Nous nous connaissons depuis dix ans. Pendant dix ans nous n'avons plus travaillé ensemble, entre <i>[[1965 Film "Per qualche dollaro in più"|Pour quelques dollars de plus]]</i> (1965) et <i>[[1975 Film "Un genio, due compari, un pollo"|Un génie, deux associés...]]</i> parce qu'une fois je ne pouvais pas, l'autre fois je n'étais pas là et ce n'était pas là et ce n'était pas un rôle pour moi, mais notre communication n'a jamais cessé. Le contact a été bon dès le premier jour et cela dure toujours. Il n'y a pas de discussions entre nous. Il est génial, grand psychologue, dynamique, tout. Il sait que je le respecte, pas en tant que metteur en scène mais en tant qu'homme. Là je le trouve génial. Il n'est pas unique, bien sûr. Nous sommes plusieurs au monde mais il est un de ceux pour qui c'est un grande joie de travailler. Au début de l'année prochaine, je vais faire avec lui <i>Il était une fois l'Amérique</i>.
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J'aime beaucoup Yves Boisset avec qui je m'entends très bien, ainsi que Montaldo qui est un metteur en scène génial. Mais pour moi, un metteur en scène agréable c'est David Lean avec qui ja'i fait <i>[[1965 Film "Doctor Zhivago"|Docteur Jivago]]</i>. Avec Lean il existe un dialogue, une communication. Et au sein d'une machine torturante comme la production du <i>Jivago</i>, ça c'est vraiment créatif. C'est comme avec Sergio Leone. Leone est un ami. Nous nous connaissons depuis dix ans. Pendant dix ans nous n'avons plus travaillé ensemble, entre <i>[[1965 Film "Per qualche dollaro in più"|Pour quelques dollars de plus]]</i> (1965) et <i>[[1975 Film "Un genio, due compari, un pollo"|Un génie, deux associés...]]</i> parce qu'une fois je ne pouvais pas, l'autre fois je n'étais pas là et ce n'était pas là et ce n'était pas un rôle pour moi, mais notre communication n'a jamais cessé. Le contact a été bon dès le premier jour et cela dure toujours. Il n'y a pas de discussions entre nous. Il est génial, grand psychologue, dynamique, tout. Il sait que je le respecte, pas en tant que metteur en scène mais en tant qu'homme. Là je le trouve génial. Il n'est pas unique, bien sûr. Nous sommes plusieurs au monde mais il est un de ceux pour qui c'est un grande joie de travailler. Au début de l'année prochaine, je vais faire avec lui <i>Il était une fois l'Amérique</i>.
  
 
<b>Mais ceux avec qui vous tournez des westerns dernière zone ou des Draculas...?</b>
 
<b>Mais ceux avec qui vous tournez des westerns dernière zone ou des Draculas...?</b>
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<b>Mais vos mises en scène à vous, c'est pour quand?</b>
 
<b>Mais vos mises en scène à vous, c'est pour quand?</b>
  
Je décidé de mettre en scène <i>[[1988 Film "Paganini"|Paganini]]</a></i> avec moi dans le rôle principal. J'ai écrit le scénario il y a sept ans et plusieurs producteurs sont très excités par le projet, qui sera français. Ca se fera en France et en Italie.
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Je décidé de mettre en scène <i>[[1988 Film "Paganini"|Paganini]]</i> avec moi dans le rôle principal. J'ai écrit le scénario il y a sept ans et plusieurs producteurs sont très excités par le projet, qui sera français. Ca se fera en France et en Italie.
  
 
Si je veux mettre en scène, ce n'est pas par ambition, c'est pour casser mes chaînes. Car si vous vous mettez en scène, vous êtes plus libre que si vous êtes seulement acteur. Il y a parfois un dialogue entre l'acteur et le metteur en scène, mais cüest très rare.
 
Si je veux mettre en scène, ce n'est pas par ambition, c'est pour casser mes chaînes. Car si vous vous mettez en scène, vous êtes plus libre que si vous êtes seulement acteur. Il y a parfois un dialogue entre l'acteur et le metteur en scène, mais cüest très rare.
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Auteurs: Claire Clouzoz, Klaus Kinski
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[[Category:Klaus Kinski - Bibliographie]]
 
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Aktuelle Version vom 17. Oktober 2006, 18:57 Uhr

"Si je n'avais pas été acteur, j'aurais pu être un assassin..."

Entretien avec Klaus Kinski

Vous avez écrit vos mémoires Créver pour vivre plus pour parler de votre enfance et de son horreur que pour raconter votre carrière...

Je suis né comme une bête dans un jardin zoologique, dans une cave. Et là où une bête aurait des griffes, moi je suis né avec ce talent. Je suis convaincu que si je n'avais pas été acteur, né avec le même chaos et la même sensibilité en moi, je serais devenu un assassin: Ou peut-être victime d'un assassin... De toute façon j'aurais été écrasé si je n'avais pas été acteur. Car je sens que la vie sur cette planète aurait été insupportable sans l'espoir que j'avais d'en échapper à cause de mon talent.

Mais votre enfance a été particulièrement terrible: pauvreté, privations...

Non, j'ai enregistré des trucs terribles dans mon enfance mais tout le monde connaît cela. Je crois plutôt que ce que j'ai connu enfant a trouvé sa culmination quand j'ai été enfermé dans un asile. Avant, j'avais souffert mais je n'avais jamais, je n'ai jamais été sentimental envers mon enfance. A l'asile, j'ai pensé vraiment "je crève ou je me sauve". J'ai compris ça fait du bien de souffrir...

Vous en aviez assez de l'image déformée du Kinski pervers, obédé sexuel? ...

J'ai fait mon chemin avec mes bras. Je suis arrivé là oû je pensais qu'il était juste d'arriver. Je ne l'ai fait ni pour avoir une carrière ni pour la gloire. J'ai eu horreur des interviews jusqu'à maintenant, horreur de parler de moi. Or, dans ce métier, vous vous sentez obligé de répondre aux questions. J'étais connu tout à fait déformé par les milliers d'articles complètement gratuits qui ont paru sur moi. J'ai refusé d'écrire ce livre pendant longtemps parce que je n'avais pas envie de ruminer ma vie comme une vache, pas envie de m'exhibitionner. Mais un éditeur allemand me demandait de l'écrire depuis trois ans et les gens autour de moi m'ont poussé à l'écrire. Alors je me suis mis à ma table et j'ai écrit - très vite - 500 pages en 52 jours, jour et nuit.

Le titre allemand de votre livre est beaucoup plus beau que Crêver pour vivre...

C'est la traduction d'un vers de Villon que j'ai dit des centaines, des milliers de fois dans mes récitals: Je suis fou de ta bouche de fraise. Cette phrase allait pour l'Allemagne parce qu'elle est connue par mon spectacle et par le disque que j'en ai fait. Mais je trouve le titre français plus juste. Ca exprime une grande tendresse et une grande violence à la fois. Et c'est juste parce que je crois qu'être vivant, c'est toujours crêver pour vivre. Je suis mort non pas deux fois, quatre fois mais des centaines de fois et je crois que c'est dans la mort que la vie commence.

Vous n'avez pas relevé tout à l'heure quand j'ai parlé de votre réputation d'obsédé sexuel ...

Ce sont des mots tellement délicats car sait-on ce qu'il y a derrière... Embrasser les pieds d'une putain, pour moi, c'est une occasion d'amour, que ça dure 30 minutes, 30 jours, 3 heures ou 3 ans, je ne compte pas de cette manière. J'ai dit "j'embrasse les filles à Marseille" et cette phrase a été mal interpretée. Je voulais dire que je faisais l'amour avec les femmes venant de tous les coins du monde possible sans me protéger parce que je voulais ressentir un maximum d'amour. Je pensais, j'espérais qu'une femme était aussi capable de ressentir la même chose pendant quelques secondes. En fait j'étais poussé, tiré par une force supérieure de ne jamais rester avec la même femme. Je ne prétends pas que j'allais avec n'importe quelle femme. Encore que, pour moi, une femme belle ou une femme laide, ça n'existe pas. Je crois qu'une femme est une femme et c'est merveilleux. Mais si je perds le contact en pensée avec une femme, c'est triste pour moi. Et c'est triste pour moi aussi de ne jamais être capable de rester avec une femme. Enfin... c'était triste...

De toutes façons, pour moi l'amour ce n'est pas seulement la femme. C'est une fleur, un chien, le vent, le ciel, les nuages.

La poursuite incessante des femmes n'est-elle pas la même chose que la poursuite de l'argent?

Si j'ai raconté avec qui j'aime "baiser" (Kinski dit "embrasser), je raconte également dans mon livre chaque faute qui accompagne ça. Je ne m'épargne pas. Je ne consommais pas les femmes pour trouver un jour une femme idéale, ce n'est pas ça. Non, c'était une soif, comme dans le désert, mourant de soif, de soif d'amour. Je ne crois pas que ce soit juste de dire que j'ai usé les femmes comme un objet. Vous ne pouvez pas dire que quand vous "embrassez" n'importe quoi dans la vie, vous usez. Ca devient un jeu de mots.

Pour moi, les putes de la rue sont aussi sacrées que les autres femmes. Je n'ai jamais pensé qu'une prostituée était un objet pour moi.

Obsédé sexuel... qui peut dire quelle force, quel désir pousse un homme à être un obsédé sexuel? Quant à moi, je ne me sens pas du tout coupable, franchement parce que mon amour était franc, sans tricherie, sans arrière-pensée. Je crois que j'ai le droit d'"embrasser" un arbre, une femme ou un enfant. Si je désire baiser une plante, je baise une plante. Et alors quelqu'un peut me dire: les plantes sont des objets...

Et l'argent?

L'argent, pour moi, est une chose secondaire. Relativement secondaire... Parce que lorsque j'étais en prison, si des amis à moi ou autres avaient l'argent pour me libérer, j'ai pris l'argent... Là, l'argent est le seul moyen d'en sortir et je le prends de n'importe qui.

Très tôt vous découvrez le théâtre par vous-même: vous jouez La machine à écrire de Cocteau, Mesure par mesure, vous respectez Fehling, vous apprenez par coeur Villon, Rimabud, et à côté de cela vous ne semblez pas respecter le cinéma. Pourquoi?

Je vais répondre de deux manières différentes à votre question. D'abord je ne "respecte" pas Villon, Rimbaud. J'ai vécu, je vis avec l'âme de Van Gogh parce que Van Gogh, il est en moi, Villon est en moi. Ces poètes, je les ai rencontrés et ils m'ont fait avancer. J'ai cherché dans leur destin une solution pour moi. Je ne veux pas crever comme ils on crevé. Je veux crever en pleine liberté. La soeur de Rimbaud raconte dans une lettre très touchante la mort de Rimbaud. Je crois que personne ne peut dire ce qu'il a ressenti en mourant, pourquoi il a demandé les derniers sacrements. En tout cas, ça ne veut pas dire qu'il était heureux quand il est mort.

Ca ne veut rien dire d'être "artiste". Ce que j'ai toujours cherché, c'est de ne pas crever avant d'avoir approché une force supérieure... Vous pouvez appeler ça Dieu, comme vous voulez, je ne trouve pas de mot pour ça. Je peux dire: les éléments, le vent, l'orage, la mer.

Pour parler d'abord du théâtre, je n'ai pas de respect pour Fehling même si c'est un "grand" metteur en scène allemand. "Grand", cela ne veut rien dire pour moi. Je raconte au début de mon livre que j'ai fait des centaines de récitals en disant Le Nouveau Testament et des millions de personnes m'ont vu. Ce spectacle, je l'ai conçu parce que je ne voulais plus jamais mettre les pieds sur une scène. D'abord pour une raison technique: les pièces actuelles ne vous offrent jamais l'occasion de vous donner au public.

Ensuite pour une raison vitale: je voulais rester en vie, j'avais peur de crever sur scène. Crever dans mon âme, je veux dire. Je sais qu'en général un acteur est plus libre au théâtre qu'au cinéma, qu'il n'existe pas de routine. Mais pour moi, le théâtre, c'était marcher à la guillotine tous les jours pour être exécuté. Ce n'est pas que je me prenne pour Jésus-Christ mais j'ai trouvé un parallèle qui est le Jardin de Gethsemani. C'était: "me laisse pas crever" ... Mon chemin douloureux, c'était le théâtre, c'était le théâtre, c'était faire revivre pour les gens des choses tous les soirs. C'était comme les abattoirs. C'était trop bête de crever dans les décors et la poussière, au lieu de respirer sur la mer...

Et il y a quinze ans, sur la scène d'un grand théâtre de Berlin, un beau soir je me suis arrêté de jouer presque 10 minutes et personne n'a bougé. Et une chose, très loin - c'était peut-être une lumière - m'a fait comprendre: tout ce que tu fais, c'est pour rien... C'était peut-être une force supérieure qui m'est passée par la cervelle...

Alors j'ai mis sur pied ce spectacle où je récitais le Nouveau Testament et des millions de gens ont acheté un billet pour me voir.

Mais ce pouvoir sur le public ne vous apportait pas de grandes satisfactions?

Bien sûr puisqu'un jour à Vienne, j'ai fait l'expérience de rester à la fin de la pièce dans le noir en attendant - j'avais fait un pari avec un ami - exactement autant de temps que je voulais jusqu'à ce que je décide que le public applaudisse. Et ça a marché: les gens ont applaudi exactement quand je voulais. Je crois qu0il n'y a pas de mystère, c'est une question d'intention, de communication avec le public. Je parle du théâtre, parce qu'au cinéma ça n'existe pas.

Pour vous répondre quant aux "satisfactions", je peux seulement vous dire que je remercie Dieu. Si vous êtes acteur et que vous avez du succès - et c'est lié car si vous avez du talent, vous avez du succès - vous devez remercier Dieu de ne pas être laveur dans un pissoir, prisonnier ou ouvrier à la chaîne. Mais vous ne pouvez pas dire que cela vous rende "heureux", non... Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il m'est arrivé de voir l'âme du spectateur du premier rang au théâtre et que, là, j'ai remercié ce spectateur à ce moment. Mais c'est un instant si fugitif, qui passe si vite... Non, vraiment, je peux seulement vous répondre en reprenant la phrase de la grande Oulanova qui a dit: "Cette gloire, cette lumière, comment trouver cela merveilleux s'il y a un petit garçon qui crève à quatre pas de vous..."

Si on en venait au cinéma... Car tout de même vous avez fait 140 films dont 3 seulement sont bons...

Ecoutez, je ne peux mentir ni à moi-même ni aux autres sur "pourquoi j'ai fait du cinéma"... Ce n'est pas parce que je suis pervers, ou flippé ou obsédé par le cinéma, non! Alors pourquoi ai-je fait douze films par an à une certaine époque? C'est vrai, je ne cache pas la vérité: j'acceptais les films par téléphone à cause des dates et du fric. Je n'étais pas patient comme aujourd'hui. J'étais beaucoup plus emphatique, infantile...

Mais pourquoi avez-vous refusé des films importants?

D'abord, pour moi, "grand" film ou "petit" film, ça ne veut rien dire. Il n'y a pas de film plus ou moins "grand". Dans le film dégueulasse, je me prostitue qutant que dans un "grand" film.

Mais tout de même, c'est de ma faute indirectement si j'ai refusé les films de Pasolini, de Visconti, de Fellini et beaucoup de films américains. A cette époque, je me foutais complètement du genre de film où j'apparaissais. J'avais déjà commencé à me dire "tout ce que tu fais, c'est pour rien", je pensais déjà à la mort. Et au regard de mes préoccupations, le cinéma est secondaire. Cela dit, j'ai toujours été "professionel" dans un mauvais comme dans un bon film.

Alors si vous me demandez pourquoi j'ai fait des films de catégorie B, peut-être est-ce parce que j'étais impatient, comme une bête traquée, enfermée qui cherche la sortie. Je n'avais personne pour me conseiller. Je demandais à mon impresario: "Je fais ce film avec Visconti?" et il me disait: "Non, le plus important, c'est Vieux Schnock", alors moi, je n'ai pas compris qui était Visconti.

Aujourd'hui, je ne regrette rien car je ne faisais pas du cinéma pour les Oscars, pour Cannes ou pour que les critiques se masturbent en me voyant. Je faisais des films pour le public. Et c'est ça la réponse. La réponse, je l'ai trouvée lors des mes tournées au Laos, à Marrakech, au Pérou, à Tai-peh, au Vietnam... Au Vietnam, j'ai rencontrée un gosse de 8 ou 9 ans qui m'avait vu dans un seul film de guerre où je jouais un sergent américain mourant la bouche ouverte dans un tank et il m'a mimé ça. Et il me rappelait par ces grimaces que ce que j'avais fait était important pour lui. Et je vous dis que cela compte pour moi, pas seulement parce que cela se passait au Vietnam... Je ne suis ni prétentieux ni arrogant mais je suis content que les gens, vieux ou jeunes, m'aiment dans tous les pays du monde.

Et si je fais un film pour impressioner un gosse au Vietnam plutôt que de faire un Visconti, vous voyez la différence, vous? ...

De quel film s'agissait-il pour Visconti?

De Louis II de Bavière. Enfin..., j'aurais joué l'acteur ami car je suis trop vieux à 41 ans pour faire le roi. Remarquez, j'avais joué Louis II lui-même en 1955 dans le film de Helmut Käutner mais ce n'était pas très bon. La vision de Visconti sur Ludwig, sur le nazisme et la perversion sexuelle, ça pourrait être intéressant mais pas comme il le réalise. Et puis, faire jouer cela par des pédés, enfin... bref.

Qu'est-ce qui s'est passé avec Pasolini et Porcherie [ Porcile]? Est-ce parce que Pasolini était trop angoissé? Pourtant le rôle était écrit pour vous...

J'ai refusé le film pour des raisons très banales, parce que le cachet n'était pas assez élevé. Il pensait que c'était un grand honneur de travailler avec lui, je n'accepte pas ça. Je n'ai jamais refusé son film en disant: c'est un con. Non, j'ai été très étonné par notre rencontre. Pasolini était tellement gentil, doux, calme, même timide et ça était très bien pour moi.

Vous avez dit qu'il était angoissé. Moi aussi les gens pensent que je suis angoissé. Mais en fait je n'ai jamais été angoissé dans le même sens que Pasolini. Mon angoisse est différente de la sienne. J'ai lu le script de Porcherie, j'ai trouvé que cela ne m'apportait rien. J'ai quand même été très gentil moi aussi, j'ai dit: vous savez, je n'ai pas compris, ce n'est pas moi du tout. Sans le brusquer, et encore moins maintenant qu'il est mort... Avec Pasolini, il fallait s'engager. Ce n'était pas comme mes westerns de 2e ou 3e catégorie que je tourne en deux ou trois semaines. Avec lui, c'était pénible, sérieux, un vrai travail professionnel. Mais je n'éprouvais pas le besoin de m'engager, de jouer un type dans le désert qui a faim, qui mange quelqu'un, qui s'excite, qui est musclé, oui, d'accord c'est très beau... mais je ne trouvais aucun sens à tout cela. Et lui, il prenait cette idée tellement au sérieux...

Mais enfin, ça n'existe pas pour vous un auteur de cinéma inspiré pour qui vous tourneriez pour peu d'argent?

Non, je ne crois pas à ça. Je crois que le cinéma est une industrie. Vous demandez de l'argent, vous êtes responsable pour vendre le film, pour le faire marcher et, chose plus importante: vous faites le film pour le public. J'ai eu souvent l'impression que certaines metteurs en scène faisaient des films pour eux-mêmes. Moi je m'identifie au public et le public avec moi. J'ai eu l'impression que si je faisais un film "engagé" avec Pasolini, le public ne pourrait pas s'identifier avec moi.

Et les 130 autres films où vous ne vous "engagiez" pas? ...

Là, je m'engageais au moment où la caméra tournait... Mais si vous voulez, ça correspond à une période où je signais par téléphone parce que je considérais que le cinéma, c'était 99% de la merde. Je donnais mon accord et après, quand j'arrivais sur le plateau sans avoir lu le script, j'étais emmerdé naturellement par le film, par le metteur en scène, par tout. Mais je restais professionnel, ça n'avait plus rien à voir avec l'engagement. Personne n'avait le droit de savoir ce que je pensais. Je faisais mon truc, un point c'est tout, au mieux de mes possibilités.

Qu'est-ce que ça veut dire travailler avec un metteur en scène célèbre? Pour moi, un metteur en scène est "grand" si c'est un psychologue, s'il a de l'amour. Pour un acteur comme moi, c'est-à-dire assez sensible dans le sens créatif, l'amour est primordial. Je ne peux pas supporter la dictature de n'importe qui. Et, dans ce sens je ne supporte pas un type qui m'utilise comme un objet.

Comme Fellini avec qui vous auriez pu aussi tourner?

Fellini est très sympathique, très spirituel, je l'ai rencontré très souvent. J'aime bien La strada. Je ne sais pas comment se passerait le travail entre nous mai il y a une chose qui me fait peur - si tant est que je puisse avoir peur, rien ne me fait peur au sens professionnel - c'est que, pour lui, les gens sont déformés, ce sont des marionettes. Lui, il court, il dirige et l'acteur n'existe pas pour lui. Il n'est pas le seul d'ailleurs. Visconti aussi, est c'est grave. C'est peut-être le destin qui ne m'a fait faire de film avec lui car je ne peux pas m'imaginer ça. Les personnages de Visconti sont déformés, alors que ce qui m'intéresse, c'est le metteur en scène qui communique une chaleur, un amour sans limites. Je ne dirai jamais d'un type "Je suis content de travailler avec Untel". Je n'ai rien à foutre de Kazan qui disait "Mes acteurs ont le droit de flipper parce que c'est moi qui les protège, moi qui veux tout d'eux", et ce "grand" metteur en scène allemand qui m'a dit aussi "Je veux tout de vous"... ! Non, vraiment, je n'en ai rien à foutre.

Est-ce que vous sentiez plus d'amour avec Yves Boisset, Sergio Corbucci, Giuliano Montaldo...

J'aime beaucoup Yves Boisset avec qui je m'entends très bien, ainsi que Montaldo qui est un metteur en scène génial. Mais pour moi, un metteur en scène agréable c'est David Lean avec qui ja'i fait Docteur Jivago. Avec Lean il existe un dialogue, une communication. Et au sein d'une machine torturante comme la production du Jivago, ça c'est vraiment créatif. C'est comme avec Sergio Leone. Leone est un ami. Nous nous connaissons depuis dix ans. Pendant dix ans nous n'avons plus travaillé ensemble, entre Pour quelques dollars de plus (1965) et Un génie, deux associés... parce qu'une fois je ne pouvais pas, l'autre fois je n'étais pas là et ce n'était pas là et ce n'était pas un rôle pour moi, mais notre communication n'a jamais cessé. Le contact a été bon dès le premier jour et cela dure toujours. Il n'y a pas de discussions entre nous. Il est génial, grand psychologue, dynamique, tout. Il sait que je le respecte, pas en tant que metteur en scène mais en tant qu'homme. Là je le trouve génial. Il n'est pas unique, bien sûr. Nous sommes plusieurs au monde mais il est un de ceux pour qui c'est un grande joie de travailler. Au début de l'année prochaine, je vais faire avec lui Il était une fois l'Amérique.

Mais ceux avec qui vous tournez des westerns dernière zone ou des Draculas...?

Souvent ce sont des pauvres mecs. Mais j'en ai rencontré beaucoup qui me disaient: "Dis-moi comment tu veux faire ça" et c'était très agréable. Si vous voulez, je me sens moins mal avec ce genre de type qui fait n'importe quelle histoire dans un film que je ne prends pas du tout au sérieux mais où je deviens sérieux quand la caméra tourne. Je préfère cela au dictateur. Un acteur est égocentrique, il pense à son truc, à ce qu'il va faire. Un acteur peut exister sans metteur en scène, il peut rester 20 minutes ou 1 heure seul dans un plan et exister. Mais un metteur en scène sans acteur, NON! Les metteurs en scène sont souvent arrogants. Ils filment pour se libérer de leurs complexes, de leurs manies. Et ils ne respectent pas les acteurs qui ont vécu, qui se sont déchirés toute leur vie, eux qu'il faut écouter!

Un vrai metteur en scène comme Max Reinhardt écoutait ses acteurs, il imitait même leurs voix et leurs mouvements pour ne pas les déranger. Il avait de l'amour pour ses acteurs; il avait compris qu'il ne fallait pas cracher sur eux.

Moi ça m'est arrivé de me prendre à la gueule avec un metteur de scène, qu'il v ait du sang parce que ça n'était plus possible. Non, vous comprenez, un acteur qui a une certaine force, on ne peut pas lui dire: "Si tu ne fais pas ça, je te sors!" C'est du racisme contre les acteurs! Si j'étais metteur en scène, je prendrais mon acteur dans mes bras pour le calmer. Comme un jour en Allemagne un metteur en scène de théâtre qui m'a dit "C'est moi qui te protège" parce que je me bagarrais. C'était tellement chaud cet amour... Si j?entre dans une église et que je dérange la communion, je suis jeté dehors par un coup de pied (les prêtres appellent la police) parce que c'est le prêtre qui fait la mise en scène, pas moi. Mais les acteurs ont tous les droits dans un théâtre, c'est leur lieu.

Et quels ont été vos rapports avec Werner Herzog puisque c'est Aguirre le film de vous le plus connu en France?

Hmmm... Si j'avais fait ce que Herzog me demandait de faire, ce film n'aurait jamais eu de succès. J'ai refusé, j'ai dit "Si tu ne me laisses pas faire ce que je veux, je ne tourne pas, c'est tout. Alors décide-toi!" J'ai pu sauver une grande part du personnage. Le script était bien, il était mème mieux que dans le produit fini. C'est à cause du script que j'ai accepté, à cause du Pérou, de la jungle, de l'Amazonie.

Pendant le travail, Herzog était bien, très gentil, très timide. Peut-être était-ce un truc... Mais en dehors il était complètement schizophrène. Tout ce qu'il a dit dans les interviews ici en France et en Italie est un tissu de mensonges. C'est lui le premier qui m'a menacé, qui m'a dit "Ce film est tout pour moi, c'est ma vie, c'est ma mort, même si toi tu dois en mourir, ça m'est égal, il faut faire ce film". Je lui ai dit d'arrêter son numéro d'Adolf Hitler et j'ai ajouté "Si tu me casses les pieds comme ça moi je te casse la gueule et je te jette aux piranhas pour être dévoré!" Si je lui avais cassé la gueule, il ne se serait jamais relevé. "A part ça", je lui ai dit "ne me parle pas plus à partir de maintenant". Pendant deux ou trois semaines il ne m'a pas parlé, c'était très rafraîchissant pour moi...

Il y a une chose qui est très réussie dans le film, un chose de beauté extrême, c'est la jungle. Une chose d'une force incroyable, comme moi, comme Dieu. Cela m'a beaucoup impressionné. Le cameraman était fantastique. Je lui disais "Filme ça, regarde! C'est la création du monde!" et il me disait "Non, je ne peux pas, Herzog m'a défendu". Herzog disait de mes idées: "J'ai pas besoin de ces trucs de cinéma!"

La jungle rejoignait la mer que vous aimez tant?

Oui! Je sortais de ma cage avec Aguirre! J'oubliais complètement le film. Quand j'étais libre, je passais des heures, la nuit parfois puisqu'elle tombe si vite - sur un petit canot que j'avais tout le temps attaché au radeau. Et, avec ma femme, nous entrions directement dans la jungle sur l'eau, là ou personne n'est jamais passé. Là où c'est inviolé. J'étais émerveillé du matin au soir par le bruit, le silence, la création. J'oubliais Herzog. Lui, il venait le matin avec un petit bateau à moteur, complètement insensible. Il ratait toute cette beauté, tout ce silence pour m'expliquer une scène qu'il tournait d'ailleurs, c'est complètement idiot, en trois jours... Pour moi, l'obligation de retourner sur le plateau ruinait cette grâce de Dieu d'être là. Là, le cinéma était un sacrilège...

Et votre rôle?

Le rôle... hmmm... Toutes les scènes où je suis seul, où je monologue, il me disait "Fais-moi quelque chose" et je répétais la scène vingt fois et il n'était jamais content. Il me disait "Refais-moi encore et encore!" Je ne sais pas ce qu'il voulait démontrer, une obsession ou quoi... Mai il y avait des trucs qu'on ne pouvait pas faire autrement à cause de la fatigue, de la chaleur, du personnage. J'étais limité par les cuirasses, par la jungle, par toutes sortes de choses.

Le bossu, c'est moi qui en ai eu l'idée à Munich. J'avais pensé à Richard III qu'on distancierait, qui serait moins historique. Il a hésité, puis il a été excité. Il a fait travailler les spécialistes du handicap et ils m'ont fabriqué une bosse que j'ai essayé et qui n'allait jamais. Alors j'ai tout envoyer balader et j'ai dit que je ferais ce mouvement de l'épaule moi-même pendant tout le film. Après, j'étais complètement déformé parce que j'étais resté penché pendant trois mois et on a dû faire des radios et m'envoyer un médecin sportif. Mais, pour moi, c'était une chose complètement naturelle: si j'avais décidé de me comporter en bossu, j'étais bossu. J'avais la colonne vertébrale déformée et des douleurs à cause de la cuirasse. C'était une vieille cuirasse qui avait été coupé sur moi mais qui n'était pas adaptée puisqu'elle me coupait la veine du cou et me déformait. J'ai souffert de la porter 12 heures ou 14 heures par jour. Mais ce n'est pas ça qui compte. A cause de la jungel, j'étais plus heureux que malheureux. Et heureux aussi que la public voie la création de Dieu.

Le tournage a été une lutte de tous les instants?

Je n'irais pas jusque là... Mais une fois, alors qu'il mettait en danger ses acteurs sur le radeau quand les indiens du pays l'avaient prévenu qu'il était impossible de franchir un courant, il a crié "Je m'en fous complètement, TOUT DROIT!"

Vous ne considérez pas Herzog comme un grand metteur en scène allemand?

Non, absolument pas. Pas du tout.

Et Zulawski? Et L'important c'est d'aimer?

Andrzej Zulawski, ça été le coup de foudre. Il correspond aux "jeunes" metteurs en scène pour qui j'ai du respect. Je l'ai rencontré, nous avons eu un contact, comme si nous nous connaissions depuis vingt ans. Il ne m'a pas déformé, lui... Jancso non plus - que je trouve génial - ne me déformerait pas...

Mais votre personnage de l'acteur fou Zimmer n'était-il pas une parodie de vous-même, une "déformation"?

Je n'ai jamais eu d'amour pour ce personnage. J'ai eu de l'amour pour Zulawski, il y a eu une communication immédiate. Peut-être parce que nous sommes Polonais tous les deux. J'ai senti son génie et il a senti le mien.

La différence d'avec les autres "grands" et: j'ai lu le script, je me suis dit que ce rôle ne m'intéressait pas mais j'avais le désir de travailler avec Zulawski en tant qu'homme. Nous avons fais ce que nous puvions avec le langage du film. Le script, ici aussi, était beaucoup plus complèxe que le film terminé. On a coupé 45 minutes du film. Le tournage était très créatif. Zulawski développait des idées qui était dans le livre en style télégraphique et on a travaillé très dur. Je me rappelle que l'équipe et moi, pendant des nuits et des jours, on n'a pas mangé ni bu de l'eau car nous étions pris dans l'élan de Zulawski. L'élan de lui à nous et de nous à lui.

Mais franchement, ce personnage, ce n'était pas un petit peu vous?

Je ne sais pas. Vous faites souvent la putain, un personnage qui n'est pas vous mai qui est en vous. Franchement, je ne peux dire d'aucun de mes personnages: c'est moi. Parce que je ne sais pas qui je suis, qui est "moi"...

J'ai recréé 10'000 personnages qui étaient quelque part en moi dans ma vie d'acteur. Le combat le plus dur a été en moi entre tous ces chaos. Peut-être ai-je été protégé par l'amour. Peut-être ai-je été protégé par un ange...

Et Le secret de lavie de Sandy Whitelaw?

Ne m'en parlez pas... Quand je pense que c'était une belle histoire... Enfin, Whitelaw voulait que je retourne à Amsterdam et que je fasse encore ceci, et cela et moi je disais "Je m'en fous, si tu me payes 1'000 dollars pour la semaine, je veux bien". Ce n'est pas la peine d'en parler... Mais je pense que ça aurait pu être un bon film.

Et vos projets?

D'abord Nuit d'or que je viens de terminer pour Serge Moati. Il est venu l'année dernière me voir à mon hôtel et m'a dit qu'il désirait depuis des années faire son premier long métrage avec moi.

Comme avec Zulawski, j'ai trouvé dans notre dialogue qui a duré 4 heures un tel contact, j'ai senti un tel talent que j'ai accepté tout de suite, sans lire le script qui, d'ailleurs, n'était pas encore terminé. J'était content aussi de jouer avec Bernard Blier, Vanel, Marie Dubois. Et si j'étais convaincu avant de lire le script, j'ai été encore plus convaincu après l'avoir lu. Mon rôle de Nuit d'or est moi et ce n'est pas moi. C'est une partie de moi. C'est un film très dur, très engagé, très sérieux, un film hors du commun, hors de la norme.

Mais vous avez décidé de rester en France et de tourner avec des Français pour de bon? Et l'Allemagne?

Je ne veux plus tourner en Allemagne, de même que je n'accepte jamais plus de rencontrer un journaliste d'allemand. Ils ont écrit sur moi trop de conneries.

Non, j'ai beaucoup de projets, j'en ai trop même... Un prochaine film en Suisse avec un metteur en scène que j'aime bien, un Espagnol avec qui j'ai fait au moins cinq films: Jesus Franco. "Jess Franco"...! C'est un type très bizarre. Il a tourné une fois avec moi Marquis de Sade (Justine) (1968) où j'avais le rôle principal de Sade en filmant tout mon rôle en 4 heures avec trois caméras! Il a intercalé ensuite ces scènes dans le reste du film. J'étais en train de faire un autre film à Barcelone et le producteur anglais, Harry Alan Towers - pour qui j'ai fait neuf ou dix films et qui est un type qui passe une moitié de son temps en prison et l'autre à produire des films - m'a dit: "Sois gentil, fais ce que tu veux mais fais-moi le Marquis de Sade en prison." Alors je lui ai fait plaisir en tournant le premier film de Franco. Franco a été l'assistant de Buñuel, il n'est donc pas con. Seulement il a été parfois obligé par les producteurs de faire des films en dix jours. Alors il fait n'importe quoi. Enfin, là, je suis content de faire ce prochain film avec lui, une histoire à la Docteur Jekyll avec Josephine Chaplin. J'ai accepté parce que je l'aime bien. Ensuite je fais un film avec Miklos Jancso, un film important, parce que l'histoire est très excitante. Avec Claudia Cardinale. Le tournage va durer deux mois. Jancso, pour moi, c'est Poudovkine, c'est Eisenstein. C'est un plaisir pour moi.

Fin mai je rencontre Peter Brook pour un film qui durera cinq mois. Après, j'ai des projets français, il y en a au moins quinze que j'ai lus. Yves Boisset est un ami, nous avons toujours voulu tourner ensemble. Frank Cassenti avec qui je vais faire La chanson de Roland. Serge Silberman va produire un Sade que va mettre en scène Jean Cherasse avec moi. Le script est fantastique. Pour moi, c'est la premier vraie histoire du Marquis, un mélange de reportage, de mise en scène et de documents. Il voulait faire cela avec moi depuis l'année dernière mais avec la nouvelle loi sur la pornographie, cela a été retardé. Mais, pour moi, ce n'est pas de la pornographie, c'est montrer que Sade était un grand philosophe, un révolutionnaire. Pour une fois que quelqu'un s'approche vraiment du personnage, au lieu d'en faire seulement le prétexte à un film cochon...

Finalement, il y a le film de Sergio Leone, Il était une fois l'Amérique au début de l'année prochaine. Et nous avons le projet ensuite de faire un film sur la base de mon livre avec un Kean - moi - moderne, contemporain. Je ne crois pas que je le mettrai en scène moi-même, mais peut-être cette femme qui voulait faire du théâtre avec moi, Anne Delby.

Mais vos mises en scène à vous, c'est pour quand?

Je décidé de mettre en scène Paganini avec moi dans le rôle principal. J'ai écrit le scénario il y a sept ans et plusieurs producteurs sont très excités par le projet, qui sera français. Ca se fera en France et en Italie.

Si je veux mettre en scène, ce n'est pas par ambition, c'est pour casser mes chaînes. Car si vous vous mettez en scène, vous êtes plus libre que si vous êtes seulement acteur. Il y a parfois un dialogue entre l'acteur et le metteur en scène, mais cüest très rare.

J'avais déjà eu l'occasion mais j'ai toujours reculé au dernier moment à cause de ma recherche intérieure, à cause de cette interrogation en moi: POURQUOI? POURQUOI? Je pensais toujours: je m'en vais demain...

Vous parlez de mort ou de voyage?

Je suis content de ne pas être mort. Chaque jour je remercie Dieu comme les Orientaux. Je vais vers la lumière et je m'approche de plus en plus du moment où je vais m'embarquer sur la mer. Je ne me prends pas pour Jésus-Christ mais je sens le Christ dans un arbre, un chien, tout ce qui participe à la création, tout ce qui est la démonstration de la création.

Mon bateau n'est pas un désir, c'est une réalité concrète. Je travaille sur les plans depuis quatre ans et j'espère m'embarquer dans deux ans... Je le veux assez fort pour aborder les mers les plus démontées. Je n'ai pas peur. Je ne dis pas cela par arrogance mais par sentiment religieux de la nature. Dans la jungle, sur la mer ou sur l'Himalaya, on ne sent plus la différence entre naître ou mourir. J'ai choisi la mer parce que je suis obsédé par la mer.

Je pense que l'image que j'a en moi c'est un peu le Christ, mais avec une différence: je ne veux pas finir comme lui. Je veux vivre 200 ans. Ou alors, je veux mourir sur la mer, c'est plus facile que dans un cercueil. Dans la jungle j'ai vu des arbres vieux de centaines de milliers d'années, j'ai vu pousser une orchidée et tout cela pourrir et se transformer. C'est la même chose pour les humains. La transformation permanente en pourriture. Si je ne pars pas sur la mer, je me sens mourir dans la poubelle, le malentendu, la déformation complète et la confusion terrifiante...


Propos recueillis au magnétophone les 27 avril, 11 et 12 mai 1976 par Claire Clouzoz.



Auteurs: Claire Clouzot, Klaus Kinski